18 h 57, le soleil se couche. Les couleurs rouge et orangé emplissent l’atmosphère d’une ambiance apaisée. Kevin contemple le magnifique panorama. Plongé dans ses pensées, il se rappelle la dernière fois qu’il était passé par là. Ce paysage ne lui avait pas paru aussi beau qu’en ce moment. Alors que son esprit s’évade, son lacet s’accroche à une branche et le fait trébucher. Le voilà par terre, lui et son sac à dos de 25 kg.
Charles, l’ayant entendu tomber, revient sur ses pas.
- Kevin, est-ce que ça va ?
- Oui, ne t’inquiète pas. J’ai juste été surpris. J’admirais le paysage et je n’ai pas regardé où je mettais les pieds.
Charles l’aide à se relever et les deux hommes reprennent leur progression.
- Hé, les gars ! encourage Charles. Plus qu’une centaine de mètres et nous arriverons au lieu du campement.
Sous son impulsion, l’équipe avait maintenu un bon rythme et avait parcouru les 1200 mètres requis. Toutefois en atteignant l’emplacement, il ressent une douleur à la poitrine et commence à avoir du mal à respirer. Il défait discrètement son paquetage pour que les autres ne se rendent compte de rien. Il est allé trop loin pour rebrousser chemin, déclara-t-il.
Tout le monde se met au travail et installe leur quartier. Après avoir mangé, tous vont se coucher. Ce soir, Kevin dort sous la même tente que Charles.
À 0 h 33, la douleur que Charles a réussi à camoufler est devenue insupportable. Il tente de se contenir, mais laisse échapper un cri qui réveille Kevin.
- Charles, est-ce que ça va ?
Charles ne répond pas. Parler pourrait déclencher une toux suspecte, pensait-il.
Kevin insiste.
– Charles, qu’est-ce qu’il se passe ? Charles…
Charles respirait étrangement et Kevin s’en était aperçu.
N’ayant plus la force de se retenir, Charles est pris d’une quinte de toux incontrôlable.
- Les gars ! Charles a un problème. Mathis ! Mathis !
Kevin quitte la tente et cours appeler Mathis, l’infirmier de l’expédition.
Ils reviennent avec précipitation, Mathis ayant pris soin d’emporter la trousse de secours avec lui.
- Charles, qu’est-ce qui passe ? demande Mathis.
Charles ne répond pas. Chaque inspiration lui procure une douleur insupportable. Mathis reprend.
- OK, garde ton calme. Essaie de respirer doucement.
Il s’efforce de lui parler sur un ton rassurant afin qu’il ne s’inquiète pas.
Mathis remonte le t-shirt de Charles et écoute les poumons à l’aide du stéthoscope emmener pour la circonstance.
Après quelques secondes d’auscultation, Mathis demande discrètement à Kevin de sortir.
- Ça ne va pas du tout, chuchote Mathis. Reste avec lui et fais en sorte qu’il garde son calme. Je vais chercher la bouteille d’oxygène.
Mathis court vers sa tente tandis que Kevin retourne au chevet de Charles. Il tousse sans cesse et peine à reprendre son souffle. Ses inspirations deviennent de plus en plus courtes et subissant une grosse fatigue, il n’arrive plus à soutenir ses membres.
Pendant ce temps, Mathis recherche l’oxygène.
- Vite, la bouteille. Où est-ce qu’elle est, bordel ?
Stressé, il ne se souvient plus de l’endroit où il l’avait rangée. Ne la trouvant pas, il lâche brusquement par terre chaque objet qu’il réussissait à sortir du sac. Il retrouve les compresses, les ciseaux, mais pas de bouteille d’oxygène. Finalement, il met la main dessus.
- J’arrive ! s’écria-t-il.
De retour vers la tente, il n’entend plus Charles tousser. Il entre et constate qu’il respire comme une personne en cours d’asphyxie ; en quête d’oxygène.
Mathis ouvre rapidement la bouteille. Il cherche le masque pour le porter au visage de Charles, mais se rend compte qu’il n’y est pas. Il regarde par terre, puis à l’entrée de la tente. Pas de masque. Il se précipite dehors et rebrousse chemin tandis que les inspirations de Charles devenaient de moins en moins audibles.
Kévin, pensant apporter un soulagement à Charles, prend le tuyau et place l’embout dans une de ses narines. La pression est trop forte et bloque la respiration de Charles. Paniqué, il hurle : « Mathis revient vite ! Je crois que j’ai merdé. »
Mathis réapparait avec le masque, assemble le tout et le pose sur le visage de Charles.
Sentant ses forces s’amenuiser, Charles s’interroge. Il sait pertinemment que la quantité d’oxygène transportée ne suffira pas pour le lendemain. Aux portes de l’au-delà, il se reproche sa décision. À son âge, gravir le mont Everest était un pari fou. Alors que son corps l’abandonne, il se met à prier : « Dieu, si tu existes, sauve-moi »…
Maintenant, Charles respire doucement. Il a récupéré un peu de forces et inspire plus profondément.
Kévin le sort de sa réflexion.
- Ne t’inquiète pas, Charles, ce n’est pas la première fois que je vois un homme touché par un œdème des poumons. En temps normal, tu serais déjà mort.
Charles passa la nuit à respirer.
Dans la matinée, ses compagnons poursuivent l’ascension. Pour lui, c’est terminé. Son ami Kévin et lui reprennent le chemin du retour.
Quelques années plus tard, Charles reçoit un coup de fil.
- Allo !
- Allo, pourrais-je parler à Charles Anderson s’il vous plait ?
- C’est moi. À qui ai-je l’honneur ?
- Bonjour, M. Anderson ! Je suis Mat Hampton, journaliste au Dare Magazine. J’ai eu vos coordonnées par l’intermédiaire de Kevin Matthew. Je vous contacte car je rédige actuellement un article sur la résilience et j’interviewe plusieurs personnes ayant vécu un échec dans leur vie. Je souhaite écrire sur la manière dont ils se sont reconstruits. Pourriez-vous m’accorder une trentaine de minutes demain à 12 h afin que nous échangions sur ce sujet ?
Charles garde le silence quelques secondes et accepte l’entrevue.
Le lendemain, arrivés au point de rendez-vous, les deux hommes se saluent. Mat Hampton sort son enregistreur et commence l’entretien.
- Anderson, vous aviez 50 ans lorsque vous avez décidé de gravir l’Everest. Pour quelles raisons vous êtes-vous lancé dans cette aventure ?
- À ce moment de ma vie, j’avais atteint plusieurs de mes objectifs. Mon entreprise affichait un chiffre d’affaires en hausse. Mes filles terminaient leurs études supérieures. Je voulais sentir que je pouvais encore accomplir de grandes choses alors je me suis lancé ce défi.
- Pouvez-vous me dire comment s’est déroulée cette ascension ? Était-ce difficile ? Aviez-vous imaginé que vous n’iriez pas jusqu’au bout ?
- J’ai gravi avec joie et courage les obstacles qui se sont dressés devant moi. Il y a eu des moments compliqués, mais je me suis accroché. Vous savez, lorsqu’une difficulté survient, il faut savoir faire face, se focaliser uniquement sur la prochaine étape et avancer un pas à la fois. C’est ce que j’ai fait.
- Kevin m’a expliqué que vous avez été victime d’un œdème des poumons. Cela ne vous a miraculeusement pas tué, selon ce qu’il m’a dit, mais vous avez dû rebrousser chemin. Comment avez-vous vécu ce moment particulier où vous avez senti que vous n’y arriverez pas ?
- Contrairement à ce que l’on peut penser, cette complication n’a pas eu raison de ma détermination. À l’âge de 50 ans, j’ai accepté un tel défi. J’ai arpenté les sentiers de l’Everest. J’ai surmonté les difficultés et j’ai su quand il fallait renoncer. La réussite n’a pas toujours le visage que l’on veut lui donner. Il faut savoir faire face aux montagnes qui se dressent devant nous, mais il faut aussi savoir quand renoncer. J’ai eu un œdème des poumons alors que je gravissais cette montagne. J’ai vécu ma plus belle rencontre sur le mont Everest et je suis encore en vie. J’ai pu voir mes filles obtenir leurs diplômes et je vais bientôt être grand-père. Renoncer à ce moment-là été ma plus grande réussite.